La citadelle de Cambrai

La citadelle de Cambrai est la première construction bastionnée au Sud des Pays-Bas espagnols.

Trois ans après son dernier passage à Cambrai, Charles Quint entre de nouveau dans la ville le 10 novembre 1543. L’empereur ordonne la construction d’une citadelle dans l’optique de placer définitivement Cambrai sous protectorat espagnol.

La citadelle apparaît au cours du XVIe siècle comme la dernière place forte d’une ville, une sorte de dernier rempart. Cet organe de défense se doit d’être autonome et capable de résister à des attaques de l’extérieur, mais aussi de l’intérieur. Cette fortification a tout d’une petite ville dans la ville. Ses origines se trouvent dans la péninsule italienne, d’où se répand dans le même temps le système bastionné.

La citadelle correspond à la dernière place forte d’une ville, une sorte de dernier rempart. Cette fortification a tout d’une petite ville dans la ville.

L’emplacement


Pour bâtir ce qui doit devenir le signe de la présence espagnole à Cambrai, il faut le meilleur emplacement. Plusieurs propositions apparaissent : le quartier Cantimpré ou le Mont-des-bœufs. 

Le premier emplacement apparaît comme une position sûre et stratégique. L’installation de la citadelle dans le quartier de Cantimpré peut fournir des défenses naturelles imparables grâce aux eaux de l’Escaut. Dans cette zone, son installation nécessite la destruction de peu d’habitations et de bâtis, le quartier étant peu urbanisé. Cependant, l’installation de la citadelle dans ce quartier aurait placé tous les organes de défense à l’Ouest de la ville. En effet, au nord-ouest se trouve le château de Selle, et au Sud-Ouest le château de Cantimpré. 

Le second emplacement se présente comme le candidat parfait puisqu’il est assez éloigné du tissu urbain en plus de le dominer. Cependant, le choix du Mont-des-Bœufs nécessiterait la destruction de l’abbaye Saint-Géry, endroit très important pour les Cambrésiens, ainsi que la destruction du quartier entier qui entoure l’abbaye.
 
Dans une optique stratégique, mais aussi de défiance, c’est cet emplacement qui va être choisi pour bâtir la citadelle.

Schéma de l'emplacement du Mont-des-Boeufs avec le plan de la citadelle.

Schéma de l'emplacement du Mont-des-Boeufs - Fonds Faille, J17/67bis.

La construction

En 1543, Charles Quint fait parvenir des lettres indiquant la levée de 100 000 florins d’or dans le but d’ériger la citadelle. Ces frais, imposés aux Cambrésiens entraînent quelques troubles et « la misère du pays ». Les multiples protestations et demandes de délais des envoyés cambrésiens auprès de l’empereur n’aboutissent pas.

C’est à partir de 1544 que les travaux débutent, mais ce ne sont d’abord que des travaux de destruction. Il faut détruire environ 800 maisons ainsi que l’abbaye Saint-Géry. Les travaux d’arasements prennent environ deux ans, le quartier est démoli, l’abbaye aussi ainsi que l’hôpital Saint-Lazare qui se trouve à proximité. Ce laps de temps est confirmé par le déplacement des reliques de Saint-Géry en 1546 dans l’église de Saint-Vaast en centre et qui prend le nom de Saint-Géry.

Pour accomplir la tâche, les Espagnols ont recours à une force de travail colossale. Le chantier rassemble dans le même temps des ouvriers civils, environ 500, ainsi qu’une garnison entière logée chez l’habitant.

Item pour faire et mectre ledit chasteau a deffence, il fauldra et conviendra avoir chacun jour pour chincq cens pionniers, houstez et gens qui besoingneront à l’attasque ensemble cincquante benneaux qui menneront la terre jusques à la fin de mars présent.

Donato Di Boni

Rapport fait à l’empereur par l’ingénieur, Archives Départementales du Nord, C 20622.

Les travaux de construction ne débutent certainement pas avant 1545-1546. C’est à partir de ces années-là que peut prendre forme le plan imaginé par les différents ingénieurs au service de Charles Quint.

L’ingénieur et le plan

Les travaux et les plans sont attribués à Donato Di Boni Pellezuoli, ingénieur italien né à Bergame. Di Boni arrive aux Pays-Bas vers 1539-1540 sur les ordres de Charles Quint, il est chargé d’inspecter différentes fortifications. Il arrive à Cambrai vers 1543 avec l’ordre d’ériger une citadelle. 

Le plan de la citadelle repose sur une base quadrangulaire irrégulière, comme le plan des fortifications de Bouchain avec à chaque extrémité un bastion. Au Nord se trouve le bastion Sant Pedro, au Sud Sant Jago, à l’Ouest Sant Martin et enfin à l’Est Sant Flipe (Dans l’ordre précédent : A, L, G, P).

Plan de citadelle en 1609.

Plan-projet de la citadelle de Cambrai par Bourdon et Camp, levé en 1609 - Archivo General de Simancas, MPD, 13, 043.

Chaque face des bastions s’étend sur environ 60 mètres, et les flancs possèdent une profondeur d’environ 10 mètres. À l’extrémité de ces flancs se trouvent des orillons arrondis qui mettent à l’abri des casemates. Les différentes courtines varient entre 150 et 200 mètres et les escarpes s’étendent sur une hauteur d’environ 20 mètres à partir des fossés.

La citadelle est bâtie sur des fondations en grès et pierre provenant des débris de l’ancien quartier qui se trouvait sur le Mont-des-Bœufs mais aussi les ruines des châteaux féodaux environnants comme Crèvecœur, Escaudœuvres ou encore le Cateau. Certaines parties de l’enceinte médiévale ont été utilisées pour construire les fronts Nord et Est.

La porte principale de la citadelle est bâtie de sorte à créer un angle rentrant à l’intérieur des courtines de la citadelle, ce qui lui donne sa dénomination de « porte retirée ». Une porte secondaire, dîtes de « secours » est aussi ajoutée. L’ensemble de la citadelle est percé d’une gaine renforcée par des embrasures de tirs qui dominent les fossés. En effet, les fossés ne pouvant être inondés, il faut en assurer la défense activement. Ces galeries souterraines permettent d’avoir un visuel sur le fond des fossés et ainsi éviter toute sorte d’intrusion ennemie.

Pour aménager l’espace intérieur de la citadelle, de nombreux bâtiments sont construits. Ces principales nouvelles structures possèdent une finalité militaire, comme les « logements » (futures casernes) pour loger les garnisons, les arsenaux. Se trouve aussi au sein de la citadelle une chapelle, une cour et la résidence du gouverneur . Les différents gouverneurs qui se succèdent à la tête de la citadelle, surnommée les « châtelains », sont obligatoirement des Espagnols ayant servi en Belgique et dépendent directement du roi à partir de 1598.

Les gros travaux de la citadelle semblent prendre fin en 1549 avec une visite d’inspection de Charles Quint, du prince Philippe ainsi que l'arrivée d’une garnison permanente.

Plan des souterrains de la citadelle de Cambrai.

Plan de la citadelle et de ses souterrains - Fonds Faille, J17/74.

Achèvement de la citadelle primitive et premières modifications 

L’année 1553 apparaît pour la citadelle de Cambrai comme une première phase de transformation et de modernisation.

C’est l’ingénieur italien Giovanni Maria Olgiati qui propose les premières améliorations de la citadelle via son plan-projet.

Plan projet de la citadelle de Cambrai en 1553.

Disegno de la citadella di Cambrei, 24 Août 1553 par Giovanni Maria Olgiati - Archivio Si Stato Di Torino, Vol. IV, Foglio 13.

Les fronts médiévaux apparaissent pour Olgiati comme une priorité dans les travaux de transformation. Il propose avant toute chose de moderniser les courtines, notamment les médiévales. Ces travaux sont effectués rapidement.

La liste des travaux proposés par Olgiati sur son plan est longue. L’ingénieur propose le déplacement des deux portes en milieu de courtine protégées par un fossé en contre escarpe. Les bastions sont aussi au cœur des réflexions. Issue de la première génération bastionnée, les bastions de la citadelle de Cambrai sont assez petits et dépourvus de cavaliers, Olgiati les qualifie de picolli et debilli. L’idée ici de l’ingénieur est de faire de ces bastions à orillons circulaires, des bastions à flancs droits et d’y creuser des casemates ainsi que des canaux pour la pluie. Les cavaliers et plateformes d'artillerie sont élevées à 12 pieds, soit 3,60 mètres au-dessus du parapet des courtines et donc de la ligne d’horizon. Cette construction permet, ingénieusement, de dissimuler la véritable hauteur des murs de la citadelle, tout en offrant une position idéale pour l’artillerie.

La citadelle française (1571-1595)

Après la prise de la ville par les Français en 1571, Baudouin de Graves est nommé gouverneur de la ville. Il est remplacé en 1581 à la suite d’un siège des Espagnols par Jean de Montluc de Balagny.

Le premier renforce les différentes courtines de la citadelle ainsi que les parapets des bastions. Le second, à partir de 1591 renforce les bastions à l’Est et au Sud en doublant les courtines anciennes grâce à la construction d’un revêtement en avant.

Ces travaux donnent naissance aux souterrains des bastions à l’Est et au Sud. Ces galeries souterraines sont percées d’embrasures de tir destinées aux armes portatives comme les arquebuses. C’est aussi à partir de cette période que les bastions revêtent une nouvelle appellation : le bastion Sant Flipe se transforme et devient le bastion Balagny, le bastion Sant Jago devient Saint-Jean-du-Canon, le bastion Sant Martin devient Saint-Pierre-de-la-Mine et enfin le bastion Sant Pedro devient le bastion Saint-Charles. 

En plus de ces travaux, une demi-lune sur le front face à la campagne porte de secours est construite.

Détail d'une gravure du siège de Cambrai en 1595.

Détail d'une gravure du siège de 1595 présentant la demi-lune de la porte de secours de la citadelle - Fonds Faille, J1/15.

Travaux sous les Espagnols

Après le siège de 1595 mené par le comte de Fuentès, Cambrai retourne sous l’influence du pouvoir espagnol. Dès la fin de l’année 1595, une esplanade devant le front Ouest de la citadelle est créée afin de mettre à distance la ville de la citadelle.

Par la suite, le comte lance le renforcement des quatre bastions de la citadelle. Les anciens bastions sont englobés dans une muraille de deux mètres d'épaisseur. Deux demi-lunes sont construites devant les fronts Est et Nord et la porte de secours est placée en milieu de courtine. Les fossés sont aussi élargis, s’établissant à présent à 30 mètres de large.

Détail d'un plan de Cambrai.

Esplanade de la citadelle de Cambrai - Fonds Faille, J3/47.

De 1609 jusqu’à 1645 : deux sièges consécutifs

À partir de 1609, de nouveaux travaux portent principalement sur l’agrandissement des bastions du front Ouest de la citadelle, ainsi que sur le déplacement de la porte royale en milieu de courtine. Cette nouvelle position offre à la porte un flanquement total venant des deux bastions. Le déplacement de la porte royale n’est effectif qu’à partir de 1623.

L’avancée des Français vers le Nord au cours des années 1640-1650 place Cambrai au centre de deux sièges. Le premier se déroule du 24 juin au 4 août 1649. Le second siège intervient huit ans plus tard, en 1657. Dans les deux cas, des travaux mineurs de réparations et de renforcement sont commandés sur les bastions et courtines de la citadelle. 

Annexion de Cambrai par la France et dernière phase de travaux

L’ambition française sur les villes des Pays-Bas est présente dans l’échiquier politique européen depuis le règne de Louis XI et ses nombreuses conquêtes. C’est au cours du XVIIe siècle que ces ambitions atteignent leur maximum. Cette ambition est attisée par la richesse et la prospérité de ces territoires (Flandres, Artois, etc) mais aussi par leur position géographique avantageuse et déterminante.

En 1676 les campagnes militaires reprennent et ce sont les villes de Condé puis de Bouchain qui tombent sous domination française. La prise de ces deux villes ainsi que de Valenciennes le 17 mars 1677 ouvre aux troupes françaises la route vers Cambrai.

Cambrai est en une place historique et très importante pour le pouvoir espagnol dans l’appareil défensif des Pays-Bas, elle est en première ligne face à la France. 
 

Les Rois d'Efpagna eftimoient plus cette Place feule (Cambrai), que tout le refte de la Flandre enfemble. Elle étoit fameufe par le nombre des affronts qu'elle avoir fait fouffrir aux François, qui l’avoient plus d'une fois attaquée, & qui avoient toujours été obligés de lever le fiége.

Jean Racine

Éloge historique du roi Louis XIV, sur ses conquêtes depuis l'Année 1672 jusqu'en 1678, 1784.

Le siège de la citadelle s’articule de la même manière que celui de la ville avec diverses tranchées permettant de rapprocher l’artillerie et d’entamer la sape des fortifications. Grâce à ces techniques, bombardements et sapes, une brèche est ouverte dans le bastion Saint-Charles.

Face à une puissance de feu de plus en plus violente, et donc une défaite certaine, Don Pedro Zavala, dernier gouverneur espagnol de la citadelle, se rend le 17 avril 1677.

Détail du plan de siège de la ville en 1677.

Détail des attaques de la citadelle par les Français sur le plan du siège de la ville en 1677 - Fonds Faille, J2/40.

Les travaux de Vauban à Cambrai consistent en la réparation des dégâts occasionnés par le siège. Il se contente dans un premier temps d’ajouter des maçonneries aux différentes escarpes, par la suite il lance la construction d’une demi-lune au Sud de la citadelle.

La lente désuétude des XVIIIe - XIXe siècles

L’intégration de la ville de Cambrai au sein de la seconde ligne du pré-carré de Vauban dès 1678 éloigne du territoire l’ensemble des dangers.

La citadelle reste militarisée avec différents gouverneurs à sa tête. Quelques événements viennent y troubler l’ordre comme l’assassinat du commandant du fort et d’un officier supérieur en 1793 menant à l’explosion du magasin à poudre qui déclenche un incendie au sein de la citadelle. En 1815, après la défaite de Warterloo, les troupes anglaises échangent des tirs avec la citadelle. Sous une ferveur royaliste populaire, le commandant de la citadelle, assiégé, dépose les armes et rend la citadelle au commandement de Louis XVIII qui arrive en ville le 27 juin 1815.

Le 22 janvier 1871, après la défaite de Saint-Quentin, les troupes prussiennes poursuivent les troupes françaises du général Faidherbe qui entrent à Cambrai dans la nuit du 20 au 21. Les troupes logent à la citadelle. Les Prussiens posent rapidement le siège et bombardent la ville, sa citadelle et les alentours. Il faut attendre l'armistice du 26 janvier 1871 pour que s'arrêtent les bombardements et le siège.

Ces différents évènements lancent divers travaux de restaurations des fortifications extérieures de la citadelle. Des constructions extérieures mineures sont aussi planifiées comme de nouvelles demi-lunes et de nouveaux fossés. D’autres constructions viennent remplir l’espace intérieur comme de nouveaux logements pour les officiers et la transformation de l’église en magasin à poudre.

La guerre franco-prussienne marque un coût d’arrêt violent à la fortifications bastionnées en Europe. Les armes, très perfectionnées et plus destructrices qu’avant, rendent les constructions planes et étendues trop exposées au feu ennemi.

La place géographique de Cambrai n’étant plus primordiale, le ministère de la Guerre n’y fait pas bâtir de nouveaux ouvrages fortifiés comme des forts détachés blindés et semi-enterrés (système Séré de Rivières).

Réserver la magnifique citadelle bâtie par Charles Quint sans entourer la ville de forts détachés, élevés à de grandes distances et y placer une garnison et des approvisionnements, ce serait faire à l'ennemi autant de cadeaux rassemblés à l'avance et leur offrir un refuge assuré.

Général Louis Faidherbe

Campagne de l'Armée du Nord en 1870-1871, Paris, 1871.

Cette mise à part de la place de Cambrai conduit au démantèlement de ses fortifications urbaines ainsi que des organes extérieurs de sa citadelle à partir de 1895. Les quatre bastions sont arasés pour ne laisser hors de terre que la base quadrangulaire. Les fossés sont comblés avec les remblais des bastions et demi-lunes proches. Après le démantèlement, la citadelle garde un rôle de caserne militaire jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale avant d’être démilitarisée.

Plan de ville de Cambrai après le démantèlement avec la superposition des anciennes fortifications.

Plan de ville de Cambrai après le démantèlement avec la superposition des anciennes fortifications (détail) - Fonds Faille, J3/59.