Le système bastionné à Cambrai

Après la construction de sa citadelle, Cambrai modernise son appareil défensif entrant dans l’ère de la fortification bastionnée.

Origines et élaboration du système bastionné

À la moitié du XVIe siècle l’architecture militaire connaît une évolution totale. Cette conception nouvelle de la fortification repose sur deux innovations majeures : le développement de l’artillerie à poudre et la récupération par le souverain de la charge de la construction des fortifications des villes.

En Italie, durant la Renaissance, c’est tout un cadre de vie qui se transforme, notamment l’architecture civile, religieuse et militaire. L’effervescence dans les domaines techniques traduit l’envie de l’homme à faire évoluer son environnement, de chercher l’esthétique dans chaque création. C’est dans ces années-là (fin XIVe – fin XVIe siècles) qu’apparaissent des plans, des croquis d’ouvrages défensifs ingénieux se déclinant comme des « villes idéales, des forteresses idéales ». Ces créations marquent pour la première fois une transition brutale entre la verticalité défensive du Moyen Âge, et l’horizontalité géométrique des siècles suivants.

Schéma de Sforzinda.

Schéma de Sforzinda par A. Averlino dit le Filarete - Biblioteca Nazionale Centrale Di Firenze, Codex Maglibechianus, lib. V, f° 34 v.

Les premiers ouvrages bastionnés apparaissent en Vénétie, comme à Vérone en 1527, ou encore directement à Florence en 1534 avec la Fortezza da Basso. À partir des années 1530, la plupart des villes fortifiées d’Italie possèdent des fortifications modernes, pré-bastionnées. Il faut attendre le milieu du XVIe siècle pour voir arriver ces constructions dans le reste de l’Europe.

Le système bastionné est une révolution tant dans l’architecture que dans la manière de penser les fortifications. Si la fortification médiévale est pensée comme une succession d’organes défensifs uniques et reliés simplement par des courtines, le système bastionné offre une nouvelle vision. Le principe réside en ce que chaque organe, chaque bastion est en relation avec l’autre, formant au final un tout défensif. L’utilisation des bastions permet de régler le problème de flanquement, dont la fortification médiévale souffre tant. Avec l'arrivée des constructions défensives géométriques, l’angle mort disparaît, puisque chaque bastion couvre le flanc d’un autre.

Schématisation du flanquement.

Schématisation du tir de flanquement entre une construction possédant des tours rondes (médiévale) et une construction possédant des bastions (moderne) - History of fortifications

De formes triangulaires, ces nouvelles fortifications (bastions, demi-lunes, couronnés…) sont dans le construits à une distance régulière, calculée selon la portée de l’artillerie. En combinant ces constructions et différents travaux de terrassements (fossés, escarpes…), ces nouvelles défenses apparaissent plates mais très étendues.

La première modernisation de l’enceinte urbaine (1550-1576) 

Après les premières modifications apportées à la citadelle de Cambrai par Giovanni Maria Olgiati dès 1553, c’est au tour de l’enceinte médiévale de Cambrai d’entrer dans l’ère bastionnée.

Bastions, ouvrages avancés et nouvelles portes

Entre 1553 et 1557, Sébastien Van Noyen, disciple d’Olgiati, lance l’édification du demi-bastion Robert sur les indications laissées par Donato Di Boni. Le demi-bastion condamne la porte du même qui se retrouve ensevelie, réduisant le nombre de voies d’entrées dans la ville. 

Le demi-bastion Robert est un élément majeur de la modernisation de l’enceinte urbaine de Cambrai. Il est constitué de deux places de tirs, une basse et une haute. La place basse se trouve à cinq mètres de hauteur depuis le fond des fossés et la place haute à environ douze mètres. Le bastion possède aussi une galerie interne permettant le transport de l’artillerie et qui dans le fond des fossés débouche sur une petite porte dérobée.

Vers 1562-1563, le neveu de Sébastien Van Noyen, Jacques, intervient à Cambrai avec la construction du bastion Saint-Georges. Ce nouveau bastion possède des faces d’environ 100 mètres. Il faut ajouter des flancs larges d’une douzaine de mètres et des orillons semi-circulaire de 20 mètres de diamètre. La hauteur, depuis le fond du fossé, atteint 14 mètres.

  • Détail du demi-bastion Robert à Cambrai.

    Détail du plan de Cambray par J. Van Deventer montrant le demi-bastion Robert vers 1552 - KBR, M / s. 22 090.

  • Détail du bastion Saint-Georges.

    Détail du plan de la ville de Cambrai et de sa citadelle présentant le bastion Saint-Georges - Fonds Faille, J3/41.

Ces premières constructions ne sont que « légères ». Les bastions sont en réalité adaptés aux fortifications médiévales avec des tours et des remparts hauts.

La deuxième campagne de travaux sur les fortifications (1576-1595)

La seconde moitié du XVIe siècle est assez mouvementée dans les Pays-Bas espagnols. Réformes, révoltes, déploiements de la religion réformée viennent bousculer les équilibres politiques et territoriaux de notre région. 

En 1576, le baron d’Inchy et gouverneur de Bouchain, Baudouin de Grave, s’empare de la citadelle de Cambrai puis de la ville au nom des sept provinces protestantes du Nord des Pays-Bas dont le roi de France est allié. L’archevêque de Cambrai, Louis de Berlaymont, se réfugie à Mons avec une partie de son clergé. 

Avant ces événements, il lance à partir de 1574 la construction d’une nouvelle porte moderne pour la ville de Cambrai. Elle prend place sur l’ancienne porte Saint-Ladre, donnant accès à la route du Cateau. La porte est faite de briques et de pierres et se fond entièrement dans la courtine.

Détail de la porte Berlaymont-Neuve.

Détail de la porte de Berlaymont et plus tard la porte Neuve - Fonds Faille, J3/32.

En 1580, une demi-lune est érigée devant la tour médiévale d’Abancourt, ainsi que sur le front de la porte de Malle (Notre-Dame). Ces premiers ouvrages avancés sont principalement faits de terre avec une faible élévation (environ 5 à 6 mètres). Sur les hauteurs de ces demi-lunes se trouvent souvent des palissades de bois et des pieux, systèmes défensifs sommaires mais qui évitent l’assaut et l’escalade de ces plateformes.

En 1581 c’est au tour de Jean de Montluc de Balagny de prendre le contrôle de la citadelle et de la ville de Cambrai. Sous sa politique, il va lancer une nouvelle modernisation de la citadelle avec la construction de nombreuses demi-lunes, gaines souterraines et en renforçant les bastions existants.

En 1595, après un siège débuté en août, la ville est reprise le 7 octobre par le comte de Fuentès au nom de Philippe II. Ce retour des Espagnols à Cambrai marque le début d’une nouvelle campagne de travaux sur les fortifications.

Renforcement de l’enceinte et nouveaux travaux à la citadelle (1595-1657)

Le comte de Fuentès lance dès la fin de l’année 1595 la construction d’une esplanade et le renforcement des quatre bastions de la citadelle qui sont englobés dans une nouvelle muraille de deux mètres d'épaisseur.

D’autres ouvrages avancés sont construits comme des demi-lunes devant le château de Selles, la porte du Saint-Sépulcre et la porte de Cantimpré. De nouveaux gros travaux d’aménagements à la citadelle interviennent dans les années 1620 comme le renforcement des bastions côté campagne et la construction de la porte royale en 1622.

Concernant l’enceinte de la ville, les nouvelles constructions sont peu nombreuses, mais assez imposantes. C’est à partir de 1622 qu’est lancée la construction de la porte Notre-Dame, à la place de la porte médiévale de Malle. La porte repose sur un plan quadrangulaire simple, à deux étages. La façade donnant sur « les champs » se compose d’un bossage à pointe de diamant. La façade est conçue dans le style classique de la Renaissance, voire baroque.

Le château de Selles bénéficie aussi de la construction d’un couronné à partir de 1642.

Le couronné est une fortification simple et faite pour étendre une zone fortifiée, qui est alors la renforcée de l’extérieur.

Détail du couronné du château de Selles.

Détail du couronné du château de Selles - Fonds Faille, J3/29.

À partir de 1649, la menace française se fait plus sérieuse aux abords de Cambrai qui est assiégé par le comte d’Harcourt du 24 juin au 4 août 1649. Malgré une puissante détermination, le siège échoue face à une grande résistance. Il est nécessaire néanmoins de réaliser de légers travaux d’ajouts et de réparations sur les fortifications urbaines et celles de la citadelle.

Parmi ces différents travaux se trouvent : la construction d’une demi-lune devant le bastion Saint-Georges, les travaux sur le pont et la demi-lune de la porte Saint Sépulcre, la réparation et les finitions du pan de muraille allant de la porte Neuve (de Berlaymont) à la citadelle, des travaux dans les fossés de la porte de Cantimpré et des axes de communications (chemin couvert, pont, etc), l’achèvement de différentes constructions comme des caponnières, des défenses basses des clôtures et des portes ainsi que l’agrandissement de la demi-lune devant le demi-bastion Robert. D’autres travaux concernent la réparation des écluses existantes, la construction de nouvelles, et enfin la construction d’organes de défenses le long du chemin couvert entre la porte du Saint Sépulcre et la porte de Selles.

Huit ans après le siège du comte d’Harcourt pour le compte de Louis XIV, c’est au tour du vicomte de Turenne de poser le siège devant Cambrai en 1657. Ce nouveau siège entraîne la construction de nouveaux organes défensifs comme des demi-lunes, des ouvrages défensifs bas, ou encore un couronnés autour du château de Cantimpré en 1670. 

Cambrai ville française : Travaux mineurs de reconstructions, d’entretiens et d’ajouts

Après l’intégration de la ville au royaume de France en 1677, l’ingénieur Vauban intervient à Cambrai. Il lance la réparation des dégâts occasionnés par le siège et ajoute des maçonneries aux différentes escarpes, aux couronnés (Selles, Cantimpré) ainsi qu’aux demi-lunes (Abancourt, Saint-Sépulcre, Notre-Dame) déjà présents. Il ajoute aussi une demi-lune au Sud de la citadelle et une autre devant le front des amoureux après sa restauration. Enfin, les défenses par l’eau sont améliorées, permettant cette fois-ci l’inondation sur 2 500 mètres de longueur et 900 mètres de largeur sur le front Ouest.

En ouvrage majeur, il lance la construction de l’ouvrage à corne de la porte du Saint-Sépulcre pour renforcer la demi-lune et la porte.

L’ouvrage à corne est une construction dotée de deux branches reliées aux abords des fossés et où aboutissent deux bastions à leurs sommets.

Détail de l'ouvrage à corne de la porte de Paris.

Détail de l'ouvrage à corne de la porte Saint-Sépulcre - Fonds Faille, J3/73.

Les travaux sont assez peu nombreux mais changent cependant l’aspect de la ville, la faisant passer d’une ville fortifiée et bordée de terre à une ville fortifiée de brique et de pierre.